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POEBZINE : poésie contemporaine et poètes d'aujourd'hui...
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5 mai 2011

Blaise Cendrars, Pablo Picasso et Igor Stravinski chez Eugenia Errazuriz :

                « La Mimoseraie » au coeur du monde...

Je me promène sur le pont dans mon complet blanc
acheté à Dakar
Aux pieds j'ai mes espadrilles achetées à Villa Garcia
Je tiens à la main mon bonnet basque rapporté de Biarritz
(…)
Je suis propre lavé frotté plus que le pont
Heureux comme un roi
Riche comme un milliardaire
Libre comme un homme

Extrait du poème Complet blanc in Feuilles de route, recueil Formose,
Poésies Complètes de Blaise Cendrars, Éditions Denoël, 1944.

Vestige de La Mimoseraie à Biarritz © FX FarineQuand on remonte de la Grande Plage de Biarritz, un livre à la main, en prenant l'Avenue de la Marne, que surplombe le majestueux office de tourisme, on ne se doute pas qu'à l'intersection de cette longue avenue (que l'on empruntait depuis tant d'années...) et de la rue de Constantine, qui monte, plus abruptement, en face du grand portail d'un brocanteur et de l'atelier d'un peintre-sculpteur, on marchait sur les pas de Blaise Cendrars lui-même.

Dès 1916, en effet, Blaise Cendrars fait la connaissance d'une grande dame, Eugenia Errazuriz (1860-1951), veuve d'un peintre et diplomate chilien, qui deviendra son mécène et sa grande amie. Elle l'hébergera plusieurs fois dans sa propriété de Biarritz, au 10 de la rue de Constantine1 , ce dès 1918. On raconte alors que « Blaise Cendrars, le romancier-poète manchot2, aime conduire la somptueuse Delage de la propriétaire, qu'il surnommait « l'Indienne », d'une seule main, le sourire aux lèvres. » Le peintre Pablo Picasso y séjourne également, à l'été 1918, comme les musiciens, Igor Stravinski (toute une année) et Georges Auric. Si bien que cette dame de la haute société mondaine de Biarritz aime à dire : « J'ai trois amours : mon peintre, Picasso, mon musicien, Stravinski, et mon poète, Cendrars. »

Je me souviens encore avoir lu quelque part cette incroyable anecdote (Mais où ? Légende ou non ?) selon laquelle Picasso aurait même entièrement peint en bleu, des murs au plafond, l'une des chambres de cette villa. Cependant, malgplusieurs recherches menées au coeur des librairies biarrotes, je n'ai pas retrouvé de cliché d'époque de la villa. En revanche, de retour chez moi, dans le Nord, j'ai redécouvert dans la remarquable monographie d'Anne-Marie Jaton consacrée à Cendrars, parue aux éditions de l'Unicorne (Genève), une photographie de cette généreuse dame chilienne qui pose, peut-être, à l'entrée de sa propriété. Dans ce même ouvrage, quelques pages plus loin, figure également la photographie d'un petit carnet beige relié d'un ruban, exemplaire original d'Une nuit dans la forêt que Cendrars offrit à sa bienfaitrice. On y déchiffre d'ailleurs cette dédicace : à EUGÉNIA pendant qu'elle ne m'entendait pas taper à la machine, j'écrivais ce petit conte pour ELLE. La Mimoseraie – avril-mai 1925. avec toute mon amitié BLAISE.
En poussant plus avant mes recherches, j'ai enfin trouvé cette photographie (ci-jointe), extrCendrars_et_Stravinski_Chez_Eugenia_Errazurizaite de la petite biographie, Blaise Cendrars, l'or d'un poète écrite par sa fille Miriam Cendrars, où l'on voit Raymone (la compagne du poète), Blaise Cendrars et Igor Stravinski coiffé d'un béret basque, entourant Eugenia Errazuriz, avec son portrait exécuté par Pablo Picasso, juste derrière elle.

La villa n'est plus qu'un nom sur une plaque sans souvenirs

Hélas, la villa - qui fut d'abord la propriété de Marcel Campagne, avant de devenir celle d'Eugenia Errazuriz, où elle recevait en villégiature ses amis artistes - n'existe plus depuis la fin des années 60. Ne restent que les hauts murets de pierre gris qui l'entouraient (à la place, on a construit plusieurs immeubles résidentiels) ainsi qu'une plaque commémorative avec, pour seule inscription, le nom de cette ancienne villa : « La Mimoseraie » - que l'on imagine volontiers ceinte d'un parc fastueux couvert de palmiers, de tamaris, de lauriers-roses, d'hortensias et d'arbustes en fleurs.

Aujourd'hui, en passant devant cette adresse, je songe d'y voir inscrit à quelque endroit, dans la pierre, quelques mots qui rappelleraient cette réalité artistique méconnue ou ignorée de la plupart des gens du pays, comme des touristes de passage :
« Ici même, à l'emplacement de l'ancienne villa « La Mimoseraie », le poète Blaise Cendrars a écrit une partie de son grand roman « Moravagine » et, surtout, beaucoup rêvé du Brésil avant d'embarquer, quelques années plus tard, pour l'Amérique du Sud... Quand Pablo Picasso, lui, peignait d'adorables et langoureuses baigneuses basques aux chevelures torsadées, sous le regard attendri de la maîtresse des lieux, Eugenia Errazuriz. »

Même si le temps a passé, il me paraît intéressant de faire connaître aux jeunes générations que deux des plus grands artistes du XXe siècle - qui révolutionnèrent, l'un la poésie, l'autre la peinture - séjournèrent à Biarritz, à un moment charnière de leur carrière artistique, où, justement, leurs oeuvres respectives n'avaient pas encore éclaté au grand jour. Et que, d'une certaine manière, cela fut rendu possible, par le truchement d'une grande dame de Biarritz, d'origine étrangère mais de descendance basque, amoureuse des Arts, et totalement désintéressée par un quelconque profit en la matière.
Comme dans les résidences d'écrivains actuelles, Eugenia Errazuriz leur avait offert l'hospitalité et la convivialité de sa villa « La Mimoseraie », dans le seul but, qu'ils trouvent, là-bas, un lieu calme et propice à l'épanouissement de leur création, à leur rayonnement futur.

Cette histoire, dont les Biarrots peuvent être fiers, me semble encore aujourd'hui une belle leçon de vie et d'art mêlée à faire partager au plus grand nombre.

François-Xavier Farine, Biarritz-Tressin, le 5 mai 2011.                             .                                                        

1 
La villa se situe au coin de l'Avenue de la Marne et du 10 rue de Constantine, où l'on peut encore lire sur une colonne de pierre l'inscription " La Mimoseraie ".

2 Pendant la Guerre 14-18, Blaise Cendrars s'engagea dans la Légion étrangère. En septembre 1915, il perdit notamment tout l'avant-bras droit, suite à un éclat d'obus allemand, devant la ferme Navarin (Champagne-Ardenne), située à 45 km à l'est de Reims, haut lieu de combat pendant la Première Guerre mondiale.


Nombreux sont les écrivains qui
ont succombé aux charmes de Biarritz (et du Pays Basque de manière générale). Au XIXe siècle, Victor Hugo et Prosper Mérimée s'y étaient rendus. Au XXe siècle, Blaise Cendrars (1887-1961) donc, mais aussi deux autres poètes importants, Paul-Jean Toulet (1867-1920) et Louis Guillaume (1907-1971) : le premier s'était établi, à la fin de sa vie, sur la Côte Basque, dans le petit village pittoresque de Guéthary, adossé à la mer ;PJTouletGuethary le second à Biarritz même. Le souvenir quelque peu éventé de ce dernier a tout de même vu naître la « Place du Poète Louis Guillaume », au carrefour de l'Avenue Reine Victoria, de l'Avenue Reine Nathalie et de la rue Albert 1er, à quelques pas du Quartier Saint-Charles. Un peu plus loin, dans les terres, sur les hauteurs vallonnées d'Hasparren, on peut évoquer la présence du poète patriarche, Francis Jammes (1868-1938) ; sur le territoire de la commune de Cambo-les-Bains, celle des écrivains Paul Gadenne (1907-1956) et Edmond Rostand (1868-1918), avec sa superbe demeure d'« Arnaga » devenue musée, dont la visite s'impose ; enfin, en poussant jusqu'à Oloron-Sainte-Marie, le souvenir du poète Jules Supervielle (1884-1960), et pourquoi ne pas enfin mentionner le passage du grand poète contemporain, Kenneth White (né en 1936), qui enseigna et vécut, à Pau, à la fin des années 60. Sans oublier « le plus basque » des écrivains français, Pierre Loti (1850-1923) mort à Hendaye, jusqu'aux contemporains, Philippe Djian, né en 1949, qui réside à Biarritz et Philippe Labro, né en 1936, qui évoque la  cité balnéaire dans son roman autobiographique, Le petit garçon.

Sources de l'article :
Cendrars par Anne-Marie Jaton, Editions de l'Unicorne (Genève), n.d.
Blaise Cendrars, l'or d'un poète, Gallimard, Coll. Découvertes Gallimard n°279, 1996, 13,20 €.
Biarritz au vent du large et de l'histoire, Le Livre d'histoire, Coll. Monographies villes et villages de France n°1686, 2000, 43 €.

2 ouvrages complémentaires repérés depuis :
La mécène de Picasso, Alejandro Canseco-Jerez, Artextos, 2000, 35 €.
Picasso à Biarritz, été 1918, Jean-François Larralde et Jean Cazenave, Editions Lavielle, 1995, 24,50 €.

* Quelques livres des écrivains cités :
Du monde entier au coeur du Monde : Poésies complètes, Blaise Cendrars, Poésie/Gallimard n°421, 2006, 9,50 €.
Poèmes choisis, Louis Guillaume, Rougerie, 1977.
Les Contrerimes, Paul-Jean Toulet, Poésie/Gallimard n°131, 1979, 8,90 €.
L'invitation chez les Stirl, Paul Gadenne, Gallimard, Coll. L'imaginaire n°325, 2009, 8 €.
Siloé, Paul Gadenne, Seuil, Coll. Points n°1212, 2004, 9,50 €.
Les trois principaux recueils de Francis Jammes ont été publiés dans la collection Poésie/Gallimard.
Idem pour Jules Supervielle.
Ramuntcho, Pierre Loti (1850-1923), illustré d'aquarelles et de dessins de Ramiro Arrue, Aubéron, 1999, 19 €.

Le site de la villa Arnaga à Cambo-les-Bains, Musée Edmond Rostand
L'association Francis Jammes à Orthez

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Commentaires
P
Bonjour,<br /> <br /> puis-je suggérer de remplacer dans votre article "Un balcon en forêt" (Julien Gracq) par "Une nuit dans la forêt", effectivement un texte de Cendrars.<br /> <br /> Cordialement
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M
Bonjour et merci pour ce texte intéressant. La chambre bleue existe bel et bien, elle est reproduite dans "Picasso à Biarritz" paru en 1995 chez Lavielle. Il y a même une photo de Man Ray prise en 1926. Sur un des panneau figure avec un petit bouquet les 4 premiers vers des "Saisons" d'Apollinaire. Cordialement. FF
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S
Réponse (tardive) à F.X Farine: Picasso a bien peint, lors de son séjour chez Eugénia Errazuri pendant l'été 1918, une "chambre bleue". Il s'agit d'une petite pièce de la Mimoseraie dont il a orné le plafond d'un ciel bleu foncé étoilé (encre Waterman) puis a décoré les murs de sept panneaux, représentant des femmes nues inspirées des oeuvres italiennes découvertes à Rome, l'année précédente..<br /> <br /> <br /> <br /> Picasso, un été 1918 de J. F. Larralde chez atlantica juillet 2018
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S
petite rectification : en 1916, Eugenia n'est pas veuve mais séparée à l'amiable de son mari depuis 1913. Celui-ci, malgré de nombreux séjours de soins en Suisse, décédera rongé par la tuberculose en 1927.
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