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POEBZINE : poésie contemporaine et poètes d'aujourd'hui...
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14 août 2020

[Troisième lettre inédite de Jean L'Anselme à François-Xavier Farine]

 

Jean L'Anselme à Lille (décembre 2002)

Au début des années 90, je découvrais les poèmes humoristiques de Jean L'Anselme.
Fin 2001, suite au spectacle de François Marzynski, En tant que Roi des Cons, je pense finir Empereur, monté à partir des textes du poète, j'appris par la bouche du comédien que Jean L'Anselme aimait beaucoup qu'on lui écrive. Je décidai de franchir le pas. S'ensuivit une correspondance riche - de plus de dix d'années - à raison d'une à deux lettres par mois. (...)

                                                                                                   Le 5 juin 2002.

Cher François-Xavier,

Je considère la correspondance écrite comme les empreintes digitales de l'écrivain. C'est cette correspondance qui permettra de le reconnaître plus tard, et je trouve navrant que mes contemporains ne s'expriment plus que par onomatopées griffonnées sur un bristol. J'ai entretenu une correspondance avec Dubuffet et Chaissac que l'Etat s'est déjà réservée après ma mort. Ce devrait être une leçon pour tous ces hommes de plume qui ne s'expriment plus qu'avec un portable à l'oreille. Je suis donc fort heureux de trouver avec vous un bavard de l'écriture avec lequel je puis échanger quelques confidences.

Merci tout d'abord pour ce chaleureux article qui s'apparente plus à une étude qu'à un compte rendu. S'il voit le jour comme vous l'espérez, il couronnera la bonne trentaine d'articles recueillis par ma « Chasse d'eau ». Grâce à vous, à l'instar des joueurs de tennis, je vais remonter d'au moins dix rangs dans le classement international de l'A.T.P. (Association de Tous les Poètes).

Certes, comme vous, je me sens plus proche de Desnos que d'Aragon. J'ai toutefois envers ce dernier un devoir de reconnaissance car, à la fin de la guerre, à un moment où j'étais en pleine boulimie de poésie, il a enflammé la poésie française. Je retrouvais en lui le romantisme d'Hugo qui, plus tôt, avait ébloui mon éveil à la poésie, au service d'une cause que j'avais moi-même servi au cours de la guerre. C'est lui aussi qui m'accueillit (avec Vercors et Guillevic) au Comité National des Ecrivains où se trouvaient réunis les écrivains issus de la résistance. C'est d'ailleurs pour ces raisons que « les Amis d'Aragon » viennent de me demander un témoignage pour le 20ème anniversaire de sa mort. J'ai trouvé ensuite d'autres modèles d'écriture plus libérée, moins enjolivée, moins chantée mais je crois lui devoir cet engagement social qui revient souvent dans mes écrits. Il est vrai ; à part cela,  qu'Aragon a toujours été une vieille cocotte hautaine. J'eus d'ailleurs avec lui quelques « démêlés » en lui accordant qu'il ne m'a jamais fait grief de lui avoir tenu tête.

Avec Cadou, Cendrars, Prévert et Desnos, nous nous retrouvons en plein accord. J'ajouterai pour ma part deux personnages plus intimes de ma confrérie : Queneau et Tardieu.
Ah ! L'arrière-pays de Biarritz à vélo avec une aimée, quel bonheur ! J'y fus l'an dernier avec ma vieille femme (j'ai huit ans de plus), invité par des comédiens qui ont mis en spectacle « Le Ris de veau ». La réalisation est toute différente de celle de Marzynski pour « La Chasse d'eau » mais le résultat est fort satisfaisant. Ils l'ont depuis promené dans une quinzaine d'autres villes. Lors de notre passage à Biarritz, ils nous ont promenés dans les environs. Pas le temps tout de même de mettre Supervielle ou Jammes au programme. Cette région a de l'âme.
Je me réjouis de ces expériences qui augmentent l'impact populaire de ma poésie. Il est vrai qu'elle s'y prête. On comprend fort bien qu'il serait difficile de composer de la même manière avec des Bonnefoy, Deguy, etc. dont la langue est plus secrète.

Le foot. Ah ! vous connaissez le bon Delbourg ; je l'adore. (...) On s'aime depuis toujours et il doit voir, comme moi, tous les matchs de la Coupe du Monde, à la télé. A propos de mon poème (« Le sport à la télé »), j'ajoute que, depuis, ma femme m'a payé un abonnement à Canal+ pour voir le sport. Je ne regarde que ça et les informations, je juge que tout ce qui est culture passe mal à la télé car, la connaissance qu'on vous apporte ne va pas au rythme de votre capacité à comprendre. On a l'impression de sortir riche sans avoir rien retenu. Le livre, si, car il est votre esclave alors que la télé vous impose ses règles.

Comment j'écris ? Vous me répondrez à votre tour, après, sur ce sujet. Je ne me sens guère d'imagination, je pratique une poésie vraie, cela signifie que n'inventant rien, j'ai besoin d'un déclic ; ainsi ai-je écrit ce matin « La Femme à Bébert » car, le Bébert en question (un écrivain célèbre) a enterré sa femme sans en dire un mot à ses intimes. Cela signifie que je ne me mets pas à table à heure fixe, comme les vrais écrivains, comme mon Bébert qui est un « pro ».
Mais j'écris toutefois énormément parce que j'amoncelle les notes, les pensées, les aphorismes, que je suis assez souvent sollicité pour des collaborations, sans oublier ce courrier que j'ai plaisir à composer comme la longueur de cette lettre vous l'indique.

                                                                 En très grande sympathie, Jean L'Anselme

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