[Une lettre inédite d'Alain Borne à Georges Hugnet*]

Alain Borne
Montélimar (Drôme) 31 Bd St Gaucher                                2 Janvier 1945

                       Cher ami

      J'espérais n'avoir pas à vous écrire, pensant toujours reprendre la direction de Paris et peut-être pour toujours, et peu après je serais allé vous serrer la main. Mais non, je suis encore ici pour mille raisons goguenardes et déraisonnables, avec mes projets soulevés de terre comme des rails au-dessus du ballast. Les principales raisons furent le froid et quelque chose dans les bronches qui a intéressé quelques médecins. J'enragerais tout de même de voir retomber sur moi une pierre tombale fût-elle en nougat.
     Je vous envoie donc mon tout premier recueil (« Cicatrices de Songes ») puisque vous avez aimé « Brefs » - Dites-moi ce que vous en pensez. Je cherche un exemplaire de « Neige » pour vous l'offrir aussi.
    J'ai été très content de nos rapports lors de mon bref passage à Paris et de constater otre accord sur tant de points importants. J'aurais voulu vous le dire plus tôt, et combien m'avait touché votre amical accueil. Mais je vous redis/réécris (?) que je comptais le faire de vive voix.
    J'ai deux petits livres en préparation, sous presse (ou plutôt j'en corrige les épreuves). Je vous les enverrai dès naissance.
    Autre chose : je vois dans les pages publicitaires de « Confluences » un placard concernant les éditions Godet. Cela a toujours l'air très excitant. Croyez-vous que je pourrais tenter quelquee chose et donner des textes à ce jeune éditeur. Pourriez-vous en ce cas me servir de truchement et d'appui. Vous me rendriez un grand service. Une prompte réponse m'obligerait.
   Je vous envoie à retardement mes meilleurs voeux pour 1945. Mille amitiés à Francis (Picabia).

   Et croyez-moi très amicalement vôtre.
              Alain Borne

[Mention légale © collection privée François-Xavier Farine.]


*Le poète Georges Hugnet (1906-1974) fut le premier historien du mouvement Dada. Il rejoignit ensuite le mouvement surréaliste dont il fut exclu en 1939. Il pratiquait les poèmes-objets ou collages. Résistant et membre actif de la revue « La Main à plume », Il co-fonde, pendant la Guerre, une maison d'édition clandestine qui publiera « Le Silence de la mer » de Vercors et deviendra à la Libération les Éditions de Minuit.

© Photographie d'Alain Borne extraite de la monographie Alain Borne par Paul Vincensini, Seghers, collection Poètes d'aujourd'hui n°224, 1974.

Le 21 décembre prochain, ce sera le cinquantenaire de la disparition du poète.

À NOTER :
En 2015, pour le centenaire de la naissance d'Alain Borne (1915-1962), la Médiathèque intercommunale Maurice Pic de Montélimar, détentrice des droits moraux et patrimoniaux du poète & du fonds « Alain Borne », fêtera ce bel événement de plusieurs façons.