Poème(s) inédit(s) n°9
2e salve de Pierre TILMAN né en 1944 :
Parfois elle met sa langue
Parfois elle met sa langue
dans mes narines
il lui arrive d’enfoncer sa main dans ma bouche
elle introduit tous les doigts
m’attrape la langue
me malaxe les dents
se glisse entre les joues et les gencives
elle m’attrape la mâchoire inférieure
comme si j’étais un cheval
je me sens mec
terrain sec
j’ai l’impression de manquer de
trous humides
Non seulement elle m’attrape la bouche
comme si j’étais un cheval
me met des mors dedans avec ses doigts
mais elle me chevauche
se tient droite sur moi
les épaules carrées
Parfois elle me tâte le visage
me repousse la peau
elle essaie d’enfoncer ses doigts dans mes yeux
me les gobe sous les paupières entre ses lèvres
elle étouffe mon nez entier dans sa bouche
me retrousse les babines avec sa langue
derrière le mouillé je crois qu’elle
cherche mon squelette
je crois qu’elle cherche ma tête de mort
Le bon poulet « nourri au grand air »
le bon poulet « nourri au grand air »
prospère sur des terre-pleins bétonnés et
grillagés
aussi gais que des parkings de supermarché
il croît selon des normes contrôlées
par l’administration
on le soumet à des régimes alimentaires
intensifs
il est bon à manger
c’est le bon poulet « nourri au grand air »
J'ai Je n'ai pas J'ai eu je n'ai plus
J’ai
un ordinateur, une voiture, tes seins à caresser, mes seins à caresser, les
huîtres, la mer, mon permis de conduire, le goût de boire du vin rouge et
d’être un peu bourré
Je n’ai pas
un masque de cuir, une arme à feu, le chant des crapauds la nuit,
l’eau glacée tirée du puits, un bateau, un radeau, la carte d’un parti
J’ai eu, je n’ai plus
un béret, une montre au poignet, un imperméable, un gros chien jaune
au museau noir, le besoin de fumer, la peur de faire l’amour trop vite, la timidité
à l’idée de prendre la parole en public, un ballon de rugby avec un rebond
favorable, des genoux en bon état, les écrevisses dans le ruisseau
J’ai eu, je n’ai plus, je n’aurais jamais plus
un père, une mère, mes amygdales, des leçons de piano, une cravate, des
boutons de manchette, une 2 CV verte, Miles Davis devant moi, le temps de
grandir
Je n’ai jamais eu
la jalousie du pouvoir, le plaisir de mettre l’autre KO, le mépris pour ceux qui
rament
J’ai toujours eu
ma solitude de fils unique, la nécessité de faire le clown, une certaine lucidité,
le luxe de l’ennui, les mains douces, de bons abdominaux, l’envie d’écrire ces
mots
(© Photo "Le singe à l'oeil", extraite du site C'est à Sète, mai 2012.)